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LE TRAVAIL INTELLECTUEL

Jean Guitton

 

                Dans sa préface à la réédition en 1986 du Travail intellectuel qu'il avait publié trente-cinq ans plus tôt, le philosophe Jean Guitton écrivait : « J'avais eu idée d'imiter Virgile dans les Géorgiques. Apprendre à cultiver l'esprit, comme on ensemence et laboure la terre ! » Son expérience lui avait prouvé que les étudiants et autres travailleurs de la pensée manquaient cruellement d'outils méthodologiques. Si la méthodologie est devenue aujourd'hui une matière que l'on enseigne, elle ne traite cependant pas la carence : on y montre de belles machines théoriques mais on y apprend peu les gestes fondamentaux du métier.

               Pour pallier cette carence, il entreprit de rédiger ce « petit livre de conseils à ceux qui étudient et à ceux qui écrivent ». Ne nous y trompons pas, malgré la modestie de ce sous-titre, l'ouvrage ne se résume pas à un recueil d'astuces concrètes. Il forge avec rigueur une philosophie du travail intellectuel, une façon d'agencer nos forces pour ne pas les gâcher, en vue à la fois d'une meilleure efficacité, professionnelle ou dilettante, et d'une éducation réelle de la pensée. « À mes yeux, dit-il, il n'y a pas de différence radicale entre un métier appelé manuel et un métier de pensée ou de prière. »

                Aussi Jean Guitton nous décrit-il les outils dont nous disposons sur l'établi de l'écriture, pour nous transmettre certaines « ficelles » de son métier. Le fruit de l'expérience, chez l'artisan, s'offre en partage par l'exemple aux apprentis curieux d'apprendre. Chez les intellectuels, au contraire, soit parce que cette prérogative les assure d'un pouvoir et leur permet de préserver un prestige mythique, soit parce qu'ils dédaignent ces détails trop terre-à-terre pour l'idée souvent indue qu'ils se font de leurs exercices de haute voltige, le fruit de l'expérience est mis sous le boisseau comme on jette un emballage après en avoir consommé le contenu.

                Le Travail intellectuel, lui, ne fait pas de mystères. Regarder l'autre travailler, préparer le chantier, fournir un effort profond, savoir employer son temps et mettre en ordre ses idées, vouloir mieux lire, observer, saisir des notes et faire des fiches, s'exprimer par la parole ou par la plume, s'adapter même à la fatigue et à la souffrance, telles sont les pistes qu'ouvre Jean Guitton pour nous. À chacun de prendre la peine de les explorer, car il ne s'agit pas de recettes : quel que soit le métier, il faut travailler avec exigence pour bien le pratiquer. Aucun raccourci n'est possible. Utiliser des astuces ne signifie pas mentir. L'exercice honnête d'une activité intellectuelle qui permette l'expression fidèle de la pensée nécessite la connaissance d'une langue riche et précise, pleine de nuances et de ressources. « Ma liberté, dit-il, commence lorsque je me donne une règle. » Au bout du compte, rien ne remplacera la qualité du regard que l'on porte sur le monde.

                Comme j'aurais aimé découvrir cet ouvrage quand je fréquentais le lycée ! Mes notes de lecture auraient été organisées, structurées, synthétisées d'une façon plus rationnelle depuis le début, et j'aurais pu y puiser plus aisément ce que je me propose de vous confier dans ces esquisses. Les méthodes que transmet Jean Guitton s'adaptent sans coup férir aux moyens informatiques dont nous disposons de nos jours. L'esprit demeure. Rien de neuf sous le soleil, n'est-ce pas ? Rien n'a fondamentalement changé : les commandes « couper-coller » remplacent avec plus ou moins de bonheur le ruban adhésif et la paire de ciseaux. Le principal, comme il l'énonce à la fin de son livre, « est de faire ce que conseillait le vieil Ecclésiaste : se donner de la joie dans son travail, faire jouir son âme au milieu de son travail ».

 

 

 

 

 

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