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LA LEÇON DE LA SAINTE-VICTOIRE

Peter Handke

 

                Une montagne, un peintre, un écrivain. Il n'en faut pas plus pour tailler les facettes d'un petit joyau littéraire. L'accès en est sans doute un peu difficile, puisqu'il faut accepter à la fois d'aiguiser sa pensée, d'éduquer son regard et de chausser ses godillots de marche. Voilà l'effort qu'on nous demande. L'écrivain Peter Handke se met à l'école du peintre Paul Cézanne et il pèlerine avec lui, en son invisible mais pressante compagnie, à la rencontre du massif de la Sainte-Victoire dont une célèbre série de tableaux a mis l'âme en images : « C'est au peintre Paul Cézanne que je dois de m'être trouvé entouré de couleurs en ce lieu dégagé entre Aix-en-Provence et le Tholonet. »

                Bien vite, à travers l'évocation signifiante de quelques auteurs et de leurs livres, d'artistes et d'œuvres exposées dans les musées à notre négligente portée, de paysages perçus au cours d'excursions ou à travers la mémoire historique ou biographique, on découvre qu'il s'agit davantage, dans ce mince volume où l'on se balance entre les temps et les lieux, d'une leçon de vie que d'une leçon d'esthétique. Le maître Cézanne et l'élève Handke requièrent de notre part un engagement total, si nous voulons les suivre parmi formes et couleurs. Pour l'élève cette approche conduit à une illumination, laquelle s'apparente à une « forme de foi qui était le secret du peintre ».

                Que découvre Peter Handke ? « Je marchais avec une lenteur délibérée dans le blanc de la montagne. Qu'y avait-il ? Il n'arrivait rien. Et rien n'avait besoin d'arriver. J'étais délivré de toute attente et loin de toute ivresse. » Ce dépouillement le conduit au sentiment d'appartenance vitale : « Je n'avais pas l'impression d'avoir disparu dans le paysage, de m'être fondu en lui, mais d'être bien à l'abri » dans les objets des tableaux de Cézanne. Dès lors celui-ci lui apparaît « comme un maître d'humanité pour notre temps ». Le peintre nomme la terre et propose une manière d'alphabet pour lire et pour dire le réel. Et là, sous nos yeux, l'écrivain rompu à toutes les proses balbutie ses premières phrases.

                En rédigeant cette esquisse, je songeai au poète Maurice de Guérin, disparu un peu plus d'un siècle avant la naissance de Handke. Était-ce quand celui-ci nous avouait devant la Sainte-Victoire que ce « qui fait sentir la vie fait problème quand on veut le transmettre », comme en écho des regrets de celui-là plongé dans la nature : « Voilà de quoi faire un poème biblique, si j'étais bon à décrire les choses comme je les éprouve » ? Handke dit au détour d'une page : « Je me couchai sous un grand pin et respirai de nouveau le vent du présent. » Maurice de Guérin ressentit lui aussi « cette puissance étonnante en respirant, couché dans un bois de hêtres, l'air chaud du printemps ». Seule la palette du peintre…

 

 

 

 

 

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