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ÉLOGE DE LA FUITE
Henri Laborit
Le biologiste Henri Laborit, l'œil aussi tranchant qu'un scalpel, se penche avec soin sur plusieurs thèmes philosophiques qu'il explore à sa façon. Il démythifie nos comportements les plus altruistes, les plus complexes, les plus marqués par la civilisation, ceux que l'on érige au sommet de l'échelle des valeurs, en décrivant les mécanismes qui les sous-tendent. Selon lui, ils se résument à la recherche et au maintien d'une dominance qui nous permet de conserver à notre usage exclusif des êtres ou des objets gratifiants, garants de notre jouissance et de notre sécurité.
Par exemple, ne lui parlez plus d'amour. Ce mot et tout le tralala qu'on a construit autour de lui ne sert qu'à masquer les rapports de domination – je t'aime, donc donne-toi à moi seul – et à rendre supportable la soumission – je t'aime, donc prends-moi et protège-moi. « C'est un mot, conclut-il, qui ment à longueur de journée et ce mensonge est accepté, la larme à l'œil, sans discussion, par tous les hommes à qui il fournit une tunique honorable. »
Lorsqu’une agression remet en cause ce fragile équilibre du plaisir, un être vivant a trois possibilités. Ou il s'inhibe, et c'est la soumission à la hiérarchie dominante, l'enfermement et la maladie. Ou il entre dans un combat inégal, et c'est l'échec. Ou, dernière solution, il opte pour la fuite, souvent confondue avec une honteuse démission, la fuite dont Henri Laborit nous vante les mérites : elle soigne l'angoisse et, excellent pédagogue, elle nous engage, avec du recul, à mettre en application des solutions créatrices qui donnent du sens à notre vie.
Cependant, décortiquer les mécanismes pour dénoncer l'aliénation ne suffit pas. Il s'agit aussi d'affirmer avec pertinence ce qui nous reconstruit et nous rend une parfaite dignité. Parler de la seule imagination dans cette optique me semble simpliste, fallacieux au vu de ses fruits empoisonnés quand on lui accorde trop de pouvoir. L'œil scientifique d'Henri Laborit égale à l'œil du cyclope : il tend, non sans clairvoyance, à ramener le réel à la science qu'il pratique. Même s'il s'avère dépendant des mécanismes sociaux et biologiques qui l'agissent en filigrane, l'homme n'y est pas réductible et il a, s'il la choisit librement, une autre « raison d'être que d'être ».
Ceci dit, je ne suis plus à un âge où l'on essaie de convaincre pour se rassurer soi-même, mais où l'on tente de transmettre, avec de bien maigres forces, ce que l'on voit et ce que l'on a vu, peut-être pour éviter à d'autres d'emprunter les impasses où l'on perdit nécessairement le temps de se former. L'Éloge de la fuite nous rappelle que rebrousser chemin, lorsque le combat promet de nous amoindrir, est loin d'être un signe d'inintelligence. Dans notre vie que les idées tourneboulent, sans nul doute devons-nous, au moins, acquérir l'expérience du rat dans son labyrinthe.
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