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LES ÉCHAPPÉES BELLES

 

 

 

 

 

 

L’ŒIL ÉMERVEILLÉ,OU LA NATURE COMME SPECTACLE

Samivel

 

                Peintre et illustrateur autant qu’écrivain, Samivel a rendu, de tous ses talents, des hommages marqués à notre terre belle et fragile. Elle et lui n’ont jamais cessé de s’apprivoiser mutuellement. S’il fut un grand voyageur, des cimes enneigées jusqu’aux abîmes où il rencontra le poisson Humu-Humu-nuku-nuku-apu-a-a, s’il fut un « chercheur d’images » dans le Paris des années 1900 qui « sentait à l’occasion le miel, l’herbe mouillée, le crottin, le foin sec », jusqu’aux nuages qu’on survole en avion, il se pencha aussi, nouveau Gulliver, sur les êtres et les choses les plus modestes, sur « les bestioles et les cailloux culbutés du pied sur la route ».

                Ainsi, tout en se livrant à l’observation d’un grillon, il nous redit combien « la proximité, l’évidence est une cause bien connue de cécité : on ne prend pas garde à ce qui vous tombe sous les yeux ». Cette remarque fait songer à cet autre Guetteur d’ombres, Pierre Moinot, qui me fit découvrir le nostoc, cette algue terrestre primitive qu’il nous arrive à tous de piétiner sans la voir après une averse. N’est-ce pas le rôle de l’art, des mots et de la pensée, que de nous faire discerner dans la nature ce que nous ne distinguions pas, à la fois pour mieux l’aimer, pour tirer de ses réserves une joie toujours renouvelée et plus sensible, et enfin pour mieux nous connaître nous-mêmes et mieux nous approcher de ceux que nous côtoyons ?

                Cette humble et mystérieuse réalité, cette forêt de Brocéliande semble à notre immédiate portée. En trouver l’accès nécessite cependant que l’on apprenne l’admiration, que l’on cultive le don de s’émerveiller et que l’on aiguise son regard, comme y invite Samivel, pour réussir à mieux voir. Dans ce domaine-là aussi, l’apprentissage nous demande de fournir des efforts. Le désir doit être plus fort que l’envie – celle-ci détruit ce qu’elle guigne avec aigreur, celui-là fait croître avec le temps. « Les plus favorisés reçoivent de naissance les dons de curiosité et d’enthousiasme. Et, par la suite d’heureux hasards, il arrive aussi qu’ils ne les égarent pas en route, écrit-il. Mais n’importe quel homme de bonne volonté, sans distinction d’âge, de race, de classe, de fortune, a toujours la possibilité de puiser à pleines mains dans un trésor justement inépuisable, celui qu’offrent la nature et ses spectacles. »

                Sans doute Samivel a-t-il une piètre opinion de l’homme, « cette espèce besogneuse, sans cesse dressée contre elle-même et l’univers », et de sa responsabilité dans la beauté du monde. Peut-être est-ce l’effet de son « esthétique sauvage »… par trop sauvage. Mais il nous aiguillonne – heureusement – pour que nous sortions de l’ornière des craintes et que nous nous engagions à faire toute la lumière. Surtout n’attendons pas d’être prêts pour ouvrir et le cœur et les yeux, car nous attendrions longtemps ! Il s’agit de faire un premier pas, de se risquer un tant soit peu, d’accepter de recevoir pour que l’œil s’émerveille.

 

 

 

 

 

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