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LES ÉCHAPPÉES BELLES

 

 

 

 

 

 

L’ART D’AVOIR TOUJOURS RAISON

Arthur Schopenhauer

 

                Derrière ce titre provocateur et, avouons-le, bien séduisant pour les forts en gueule et pour les timides, se cache un court et dense traité de dialectique. Le proverbe 18, 33 de l’Ancien Testament disait déjà : « Qui riposte avant d’écouter, c’est pour lui folie et confusion. » Après ce temps d’écoute qu’exige la prudence, riposter avec efficacité aux attaques souvent pleines de mauvaise foi d’adversaires et de débatteurs rompus à l’exercice nécessite de connaître leurs tactiques, afin de les vaincre avec leurs propres armes. Arthur Schopenhauer décrit ainsi trente-huit stratagèmes et la façon de s’y opposer avec succès, voire de contre-attaquer… même si on a tort.

                « La nature humaine veut que, lors d’une pensée en commun, un dialogue, c’est-à-dire une communication d’opinion, si A s’aperçoit que les pensées de B relatives au même objet diffèrent des siennes, il n’examine pas sa pensée propre pour en découvrir la faute, mais suppose que celle-ci se trouve dans la pensée d’autrui : autrement dit, l’homme est par nature convaincu d’avoir raison. » Ceci, ajouté à la vanité dont « les hommes ne tiennent à rien tant qu’à se délecter », explique que nous utilisions quasiment d’instinct certains de ces stratagèmes qui paraissent si sophistiqués, si réfléchis quand nous en démontons les rouages.

                Lorsque ces méthodes de voyous, de menteurs, d’arrivistes et de falsificateurs de tout poil deviennent celles d’hommes politiques, de journalistes, d’enseignants et autres membres de cliques, nous pouvons aussi, en complément à Schopenhauer et avec profit, nous pencher sur les conseils de l’écrivain Vladimir Volkoff dans son ouvrage sur la Désinformation. Parfait. Nous voilà bardés de pied en cap pour la résistance aux mots d’ordre, à la pensée prête à porter et aux effets somnifères des idéologies à la mode. Mais en pratique, quel secours pourrait donc nous apporter l’art de la dialectique, face à la bêtise et aux tromperies quand elles font masse, gonflées par le nombre, défendues par des légions grossièrement modelées en série ?

                L’orgueil méprisant ne risque-t-il pas de pointer le bout de ses cornes ? C’est un nouveau stratagème, autrement plus subtil et plus pernicieux, puisqu’il surgit de notre cœur et nous vise à la moelle : « Rares sont ceux qui peuvent penser, écrit le philosophe avec justesse, mais tous veulent avoir des opinions et que leur reste-t-il d’autre que de les emprunter toutes cuites à autrui, au lieu de se les former eux-mêmes ? Puisqu’il en est ainsi, quelle importance faut-il encore accorder à la voix de cent millions d’hommes ? »

                Si la plupart pensent la même chose, les autres, attachés au même piquet, pensent l’inverse. Cette formule ne reflète-t-elle pas notre misère unanime ? « C’est le plus intelligent qui se tait », lance la sagesse populaire à ceux qui guettent comme des affamés celui qui aura ce dernier mot qu’ils feront leur. Sans doute faudrait-il réfléchir à la manière de détacher au moins quelques-uns de ces malheureux du piquet, plutôt que de vouloir prendre ses distances dédaigneuses et, sans en avoir conscience, tirer soi-même vainement sur la longe. L’art d’avoir toujours raison devrait nous conduire à l’art d’être vrai.

 

 

 

 

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