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LES ÉCHAPPÉES BELLES

 

 

 

 

 

 

L’ANCIEN RÉGIME ET LA RÉVOLUTION

Charles-Alexis de Tocqueville

       

                « Je n'ai pas de traditions, je n'ai pas de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine », écrit Tocqueville au comte Louis de Kergorlay en décembre 1850. Sa carrière politique, en effet, montra assez qu’il veillait à maintenir de saines distances avec les passions afin de garder la tête froide et l’œil le plus objectif possible. Sa belle plume, rigoureuse et limpide, n’ouvrait pas son cœur à tous les vents ; elle traçait la ligne d’analyses historiques si précises qu’elles nous paraissent prophétiques. Beaucoup d’étudiants en sciences politiques feraient bien de s’en inspirer, au lieu de simplement la scruter en restant juchés sur des certitudes au goût du jour.

                « Je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme, écrit-il dans De la démocratie en Amérique. Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort… Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance. »

                Son Ancien Régime et la Révolution décrit dans les faits l’origine de cette idéologie qui nous claquemure dans la vie privée, de « cette forme particulière de la tyrannie qu'on nomme le despotisme démocratique », la loi du nombre. S’il pointe du doigt les erreurs qui entraînèrent la Révolution française à la fin du dix-huitième siècle, il montre aussi les désastres irrémédiables que celle-ci entraîna, détruisant l’harmonieux équilibre que Jacques Bainville décrira un peu plus tard dans son Histoire de France, et il pressent ses conséquences funestes qui, aujourd’hui encore, se font sentir dans notre société.

                Sans y mettre les émotions qui grouillent quand on aborde cette période de notre histoire – elles nuisent aux arguments plus qu’elles ne les illustrent –, il brosse le portrait de médiocres exaltés, que l’on peut sans crainte transposer à notre époque : « On semblait aimer la liberté, il se trouve qu'on ne faisait que haïr le maître. » L’essentielle différence des régimes tient selon lui dans cette sévère constatation : « Avant la Révolution, le gouvernement ne pouvait couvrir ses agents qu'en recourant à des mesures illégales et arbitraires, tandis que depuis il a pu légalement leur laisser violer les lois. »

                Aimant la France, chérissant « la liberté et la dignité humaine », comment aurait-il pu ne pas mettre en lumière les abus de pouvoir, le manque de noblesse – dans tous les sens du terme –, le mensonge qui couvre le dol, l’astuce pitoyable qui consiste à changer la règle du jeu dès que l’on perd ? L’ancienne hiérarchie avait le mérite de se montrer. La nouvelle, en voulant faire croire qu’elle n’existe pas, sécrète le pire, comme l’annonce – déjà – cette maxime de la fin du quatorzième siècle citée par Tocqueville : « Par requierre de trop grande franchise et libertés chet-on en trop grand servaige. »

 

 

 

 

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