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GÉORGIQUES
Virgile
Lire ou relire les œuvres classiques des époques antiques et médiévales, grecques, latines ou en ancien français : tragédies, épopées et autres chroniques, ouvrages philosophiques ou religieux, nous apporte, sans parler du plaisir qui récompense un certain effort d’approche, la même satisfaction que dut ressentir Heinrich Schliemann, inventeur du site de la ville de Troie.
Les riches strates que nous pouvons alors découvrir correspondent à autant de niveaux de conscience, de fondations successives de la pensée occidentale. Notre langue, même la plus triviale, a prospéré sur ce fabuleux terreau aujourd’hui négligé. Ainsi, notre lecture devient une vivante exploration plus qu’un simple travail d’archéologue ; une conquête d’où l’on revient chargé de butin, d’une fertile et superbe profondeur de chant, au lieu d’un trophée périssable, d’une quelconque relique de belle Hélène.
Que l’auteur de l’Énéide et des Géorgiques puisse nous ouvrir en grand ce domaine des découvertes ! Ce dernier poème, sans doute parce qu’il évoque les travaux des champs et les rythmes de la nature plutôt que des événements mythologiques et historiques, sera plus facile d’accès. Ses clefs sont à la portée quasi immédiate de notre vue. La seule distance que nous pourrions déplorer a pour cause la perte d’épaisseur de nos mots qui, après bien des rebonds, comme une balle d’enfant, se sont épuisés avec le temps, sous le joug des automatismes, et se sont assourdis dans le fracas des discordances contemporaines.
Cette distance, cependant, ne pèse guère face à l’étonnante proximité que plus de vingt siècles préservent. Frottez les mots que vous employez chaque jour presque à votre insu, et vous retrouverez leur éclat d’origine, leur réalité pleine de lumière dont Virgile, pareil à un peintre sur verre, se jouait en maître. Montaigne ne considérait-il pas les Géorgiques comme « le plus accompli ouvrage » de l’art poétique latin ?
Tâchez de vous procurer l’heureuse traduction de Maurice Chappaz et d’Éric Genevay. Les vers traduits en prose rendent le souffle poétique de Virgile avec une réelle beauté, une vigueur digne du « sanglier des vallons sabins [qui] aiguise ses défenses, laboure le sol, frotte ses flancs contre un arbre et tanne aux coups ses deux épaules, l’une puis l’autre» ; ou du taureau qui se jette sur son ennemi, « telle la vague, déjà blanchissant au milieu de la mer, entraînant vers les terres son épais rouleau, s’enfle de plus en plus, gronde formidable contre la falaise et de toute la hauteur des roches s’écrase».
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