L a   H a r p e  d ’ É o l e

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LES ÉCHAPPÉES BELLES

 

 

 

 

 

 

APOPHTEGMES DES PÈRES DU DÉSERT

 

                À ces échappées belles, ces notes de lecture soustraites à la poussière pour être mises en forme dans ce recueil – toutes les autres retournant au sommeil dans d’épais dossiers –, j’ajoute volontiers ce dernier titre. Il brille tel un fanal qui m’a guidé vers le large, déjà loin dans mon sillage bien que ceux qu’il évoque, ces risque-tout de la vie intérieure, soient toujours de précieux compagnons pour les solitudes, des échappées belles de soleil, des coins de vieux ciel parmi les nuages.

                La sagesse de Dieu, qui paraît folie aux yeux des hommes, les a frappés là où ils se trouvaient, brigands sur les grands chemins d’Orient comme abba Moïse, dignitaires à la cour impériale comme abba Arsène, pauvres ou riches dans les campagnes et les villes égyptiennes aux IVe et Ve siècles. Ils quittent tout, ils vont vivre de plus en plus nombreux à l’ouest du delta du Nil, dans les déserts de Nitrie, des Cellules et de Scété, où ils partagent grottes et points d’eau avec les fauves.

                Les dangers ne manquent pas. Les pires d’entre eux sont d’ordre spirituel. L’ermite veut-il le combat ? Le voilà servi ! Tous ses déterminismes, ses ténèbres angoissantes, ses fantasmes s’éveillent et résistent à l’esprit qui, pour accueillir le Christ, veut les mettre au pas. Il faut des guides pour ces jeunes turbulents qui se groupent en colonies. Il faut des anciens, aguerris par la lutte contre les tentations, pour ces apprentis ascètes à la recherche d’une parole de vie, d’un « apophtegme » qui encourage l’obéissance afin de chasser la volonté propre, ou qui jette une lumière crue sur les véritables intentions afin d’en mieux corriger le tir.

                Saint Athanase nous a fait connaître le plus célèbre d’entre eux : abba Antoine, le père des Pères et Mères du désert, le prototype. Il y en eut un grand nombre dont on recueillit les paroles ou décrivit tel ou tel comportement paradoxal, et un bien plus grand nombre encore, des anonymes, aussi discrets qu’un grain de levain dans la pâte. « Un frère interrogea abba Poemen, disant : “J'ai trouvé un lieu où le repos n'est pas gêné par les frères ; veux-tu que j'y habite ?” Et le vieillard lui dit : “Demeure où tu ne nuis pas à ton frère.” » À quoi bon aller mendier des enseignements spirituels en des cultures exotiques, quand le terreau qui nous porte contient tant de graines ?

                Amma Théodora répond : « Il y avait un moine qui, à cause du grand nombre de ses tentations, dit : “Je pars d'ici.” Et comme il chaussait ses sandales, il vit un autre homme qui lui aussi mettait ses sandales, et lui disait : “Est-ce à cause de moi que tu pars ? Où que tu ailles je te précéderai.” » Au lieu de nous fuir, conseille-t-elle, il est plus que temps de nous mettre à la tâche, et de jaillir ici et maintenant dans notre désert intérieur.

 

 

 

 

 

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