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LUMIÈRE DU MOYEN ÂGE

Régine Pernoud

 

                Jacob Burckhardt, historien suisse du XIXe siècle, l’avait déjà constaté : « Dépouille ton hostilité à l’égard du Moyen Âge ! J’ai en main les preuves historiques qu’à cette époque on s’est divinement amusé : la vie était si colorée, si riche qu’on ne saurait aujourd’hui l’imaginer. Ne te laisse plus éblouir par les libéraux en matière d’histoire ; ils ne font que répéter sans contrôle les paroles des encyclopédistes français. » Il fallait démolir l’époque passée pour faire croire à la marche irrésistible du progrès, mépriser la foi pour bâtir l’idole de la raison. Que de balivernes ne nous a-t-on pas racontées à l’école : finis, les terreurs de l’an mil, la terre plate et le droit de cuissage !

                Saluons l’entreprise de réhabilitation qu’entreprit avec succès Régine Pernoud, pour en finir avec le Moyen Âge. Elle dénonce, preuves à l’appui, les erreurs inlassablement ressassées, les persiflages anachroniques et les fantasmes les plus ancrés dans l’imaginaire, dès qu’il s’agit de cette longue et florissante période. Elle en démontre, au contraire, la grandeur et la beauté, décrit notamment avec enthousiasme la littérature dont elle vante la valeur du « mot bien enchâssé ». Dans la Chanson de Roland, de Turold, « les faits et gestes des héros, leurs pensées, leurs préoccupations, sont ainsi traitées par notations visuelles, en touches claires et rapides, avec un art infini dans le choix de ces détails qui frappent, comme frappent dans la réalité, non pas l'ordonnance et la composition générale d'un cortège, mais telle silhouette, telle couleur dominante, le reflet d'un cuivre ou le son d'un tambour ».

                Son travail de vulgarisation ne cède en rien à la facilité. Quand cela devient nécessaire, par exemple pour décrire la société au Xe siècle, elle n’hésite pas à nous donner ses sources ou à comparer les coutumes barbares, germaniques ou nordiques « élaborées par l’expérience des générations, lentement moulées à la mesure de nos besoins », avec le droit romain, « création doctrinale, théorique, rigide ». Elle voit là, dans la substitution des anciennes coutumes par ce corpus de lois, une origine – peut-être – des « problèmes de l’enfance, de l’éducation, de la natalité, qui n’existaient pas au Moyen Âge, parce que la famille était alors une réalité, qu’elle possédait la base matérielle et morale, et les libertés nécessaires à son existence ».

                Le rôle de la famille dans la croissance d’une civilisation a soudain force d’évidence. Ces milliers de communautés attachées à leur terre formaient un vaste organisme où chacun jouait « son rôle avec la conscience de faire partie d’un tout ». Elles façonnèrent ce que nous appelons des pays. Soyons réalistes ! aucune époque ne fut paradisiaque. Il ne s’agit pas d’écrire en réaction l’hagiographie du Moyen Âge, mais reconnaissons que la solidarité n’était pas alors un vain mot, un slogan politique comme aujourd’hui où l’on sombre dans l’individualisme à proportion même de l’inflation des rêves d’une république planétaire. Régine Pernoud, comme Burckhardt, nous apprend à nous méfier des Lumières et à relire notre histoire à la Lumière du Moyen Âge.

 

 

 

 

 

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