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LES ÉCHAPPÉES BELLES

 

 

 

 

 

 

LE PREMIER TOUR DU MONDE DE MAGELLAN

Antonio Pigafetta

 

                Lecteurs et tâteurs de plumes, êtes-vous assez disciplinés, travaillez-vous chaque jour, sans perdre de temps avec des broutilles, sans trop de manœuvres dilatoires ? Après toutes ces années d’efforts, craignez-vous que rien de bon ne sorte jamais de votre intime atelier, que vos pensées paraissent à jamais balbutiantes, accessoires ? Auriez-vous perdu de votre souplesse d'esprit avec le temps, êtes-vous trop lambins, attachés à des habitudes ? Mais dites-moi ! avez-vous reçu l’autorisation intérieure, vous êtes-vous suffisamment préparés à sa survenue ? N’avez-vous pas voulu parader avant d’apprendre à voir ? Qu’avez-vous à nous confier ? Penchez-vous donc sur les récits des grands voyageurs ! Jason, Strabon, Perceval, Guillaume de Rubrouck, Jacques Cartier, Lewis et Clark, Livingstone… À la bonne franquette, sans faire de style, buvez le réel et pissez le rêve !

                Prenez Fernand Magellan, capitaine comestible d’une escadre de plus de deux cent soixante-cinq hommes répartis sur la Victoria, la Trinitad, le San Antonio, le Santiago et la Concepcion ; Magellan qui, parti joyeux de Séville le 10 août 1519 pour des courses lointaines, la Patagonie et les Patagons, les Philippines et l’île des Larrons, reçut le 26 avril 1521 à Mactan « une lance de canne envenimée au visage qui le tua tout raide ». Les fortunes de mer se succèdent et Antonio Pigafetta tient le journal de bord jusqu’à son retour à Séville le 8 septembre 1522, ayant bouclé la boucle, Bornéo, les Moluques, Java, Bonne-Espérance et le Cap-Vert, avec dix-sept rescapés à bord de la seule Victoria, sans espiceries ni autre trésor que son livre truffé de noms et de choses, de coutumes et de sauvages merveilles.

                On y apprend qu’avant d’aborder dans l’île de Guam, ils buvaient « de l'eau jaunâtre, croupie depuis longtemps, complétant [leur] alimentation des peaux de bœufs qui couvraient le haut de la grande vergue pour la protéger du frottement. (…) Les rats se vendaient ½ ducat et même à ce prix il était impossible de s'en procurer. » Ils traitaient l’atroce scorbut d’une façon empirique : « Quelques-uns des nôtres nous prièrent, si nous tuions homme ou femme, de leur porter leurs entrailles, car ils seraient guéris aussitôt. » Mais quelques récompenses, parmi les épreuves, attendaient les miraculés : « Les femmes nous aimaient trop, plus que ceux du pays. » Tout les étonne. Pigafetta note tout. Dans une cité des Philippines « venait sur l'heure de minuit un oiseau très noir et grand comme un corbeau, et il n'était pas plus tôt arrivé sur la maison qu'il criait, alors tous les chiens hurlaient et aboyaient. Ces cris et hurlements duraient cinq ou six heures. Jamais on ne voulut nous dire la cause de tout cela. »

                Quelle en est la cause, lecteurs et tâteurs de plumes ? L’ombre, très noire et grande, bat-elle des ailes au-dessus de vos têtes ? Tendez l’oreille ! Pas besoin d’exotisme, la traversée attentive d’une vie suffit pour emplir votre journal de bord. Elle vous dit peut-être que l’essentiel gîte sous les apparences. Mais vous répondez, voyageurs impénitents : Plus tard… d’abord je prends la route, pour ne rien oublier que je doive abandonner quand viendra l’heure, pour ne rien regretter dont je ne sache l’imperfection.

 

 

 

 

 

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