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LES SABLES DE LA MER

John Cowper Powys

 

                Plusieurs personnes connues, des proches et des moins proches, apparaissent au cours de ma songerie. Elles s'étirent tels des lambeaux de brume, soucieuses ou souriantes, hébétées et floues, ou l'œil vif aux aguets, lentement ballottées par d'intangibles courants, elles se balancent à la surface d'une pâte aux profondeurs insoupçonnées. M'élevant peu à peu au-dessus de cette vaste nébuleuse mouvante, indistincte et charnelle à la fois, je distingue de temps à autre comme un flocon d'écume qui s'en détache et qui, peu à peu, fumerolle consciente, virevolte vers une lointaine source de lumière.

                À la lecture des Sables de la mer, une impression analogue s'empare de moi, et ce dès le début où « la mer ne laissait pas entamer son individualité : de toute l'énorme masse visible de ses eaux elle restait la mer, entité triomphale, gouffre insatiable en dépit de la fougue que mettaient les vagues à imposer leur caractère individuel ». Le paysage : une ville, ses landes et ses embruns, au début du siècle dernier sur les côtes anglaises, prend l'aspect d'un décor de légende. Les grands mythes des origines s'incarnent dans le roman, respirent avec ampleur, au rythme de l'écriture de John Cowper Powys.

                Dans ses personnages grondent les forces obscures de l'univers. Magnus, Adam Skald le pêcheur, Perdita Wane l'éternel féminin, Sylvanus le mystique déjanté et ses admiratrices les petites danseuses, un philosophe, un médecin, une bohémienne, un adolescent fou, un clown et sa femme, Guignol et « autres pantins planétaires », chacun d'entre eux représente une vague, unique mais reliée aux êtres et aux choses inanimées, qui déferle sur les sables de la mer et s'en retire, au gré des marées et de la luxuriante imagination du romancier rongé par ses fantasmes et ses visions d'extase panthéistes.

                « Oh, si l'existence pouvait se réduire à ça ! À regarder des algues et à laisser aller tout le reste », se disait Perdita. Mais le monde la reprit et l'entortillait, elle, aux « seins de jeune fille parmi les plus blancs et les plus doux », il la plongeait à nouveau dans le flux inextinguible des histoires d'amour qui transcendent l'espace et le temps, là, près de la tourbière où semblaient se nouer et se dénouer tous les secrets de la vie. Impossible de résumer les événements, depuis l'arrivée de la demoiselle de compagnie de Lucinda Cobbold sur le débarcadère et sa première rencontre avec le patron du Cormoran, jusqu'à ce qu'elle confiât, dans une auberge à « la vieille enseigne aux lignes indéchiffrables », un simple galet à un répétiteur de latin ; non, impossible de dégager l'accès de ces pistes innombrables qui, enchevêtrées sous une « forêt de symboles », conduisent d'un personnage à l'autre. Il y a celui-ci qui clame : « Nous avons besoin d'un sexe opposé comme des plantes ont besoin d'eau. » Et celui-là, ailleurs dans le livre, qui s'efforce « comme Orion, d'atteindre son dieu à travers l'amour des filles de Dieu ».

 

 

 

 

 

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