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L’ÉQUILIBRE ET L’HARMONIE

Gustave Thibon

 

                L’Essai de philosophie concrète de Gabriel Marcel rappelle qu’il y a des penseurs dont on ne parle guère et d’autres qui mériteraient d’être moins adulés : « Je serai enclin, pour ma part, à dénier la qualité proprement philosophique à toute œuvre où ne se laisse pas discerner la morsure du réel. » On va si loin dans l’abstraction, étape par étape, insensiblement pourrait-on dire, qu’il est souvent utile – quand on se demande, tout vibrant encore d’exaltation, si l’idée que l’on vient de saisir n’est pas une élucubration, la projection d’un modèle déjà vu ailleurs ou l’exorcisme de craintes –, utile de redescendre sur la terre quotidienne afin de vérifier si l’on y avait puisé des forces dignes de donner du fruit ou si l’on s’en était éloigné au profit de sphères creuses pleines de jargons et de vents.

                Gustave Thibon était un de ces mordus du réel pour qui l’épreuve des choses concrètes et l’ascèse du travail en prise avec le temps valent mieux que les idéologies désincarnées et autres jeux d’esprit. Or, précise-t-il, « les individus comme les peuples ont toujours préféré ceux qui leur promettaient l'impossible à ceux qui leur donnaient le nécessaire ». Aussi s’efforça-t-il, par son œuvre et par sa vie tout entière engagée, de nous inculquer le goût du réalisme, de proposer à l’homme redevenu humble les moyens de renouer avec le bon sens et l’émerveillement face au monde créé. La voix rocailleuse du philosophe paysan a beau s’être éteinte en Ardèche il y a quelques années, elle résonne dans ses phrases, toujours vigoureuse : « L'admiration et l'envie ont ceci de commun qu'elles rétablissent l'égalité entre nous et l'être qui nous dépasse : la première en nous élevant jusqu'à lui et la seconde en le rabaissant jusqu'à nous. »

                Chacun des textes rassemblés dans l’Équilibre et l’harmonie développe en peu de pages une réflexion sans compromis, cinglante et sans parti pris, à partir d’une observation ou d’un fait de société. Il nécessite un effort, non pas de lecture – c’est du bon français ! – mais de mise au rancart des opinions en vogue. Jugez-en plutôt : « Le témoignage de l'histoire nous apprend que ce sont les morales les plus exigeantes – celles qui font appel à nos facultés les plus nobles et qui nous désignent comme les artisans libres et responsables de notre destin – qui ont toujours contribué le plus efficacement à élever le niveau général de l'humanité. »

                Au lieu de nous raidir, de persifler, puissions-nous cultiver l’admiration pour cet excellent pédagogue. Ne serait-ce que pour ne pas ressembler à ces enfants gâtés et gâchés qu’il plaint : « C'est dans la mesure où on leur a épargné toutes les contraintes qu'ils succombent à toutes les séductions. » Puisque le désir nous conduit plus loin que nous-mêmes, ne l’enfermons pas dans un rêve abstrait où l’impossible se mêle à la revendication. Brisons les camisoles qui étouffent la pensée et la vie, et croyons plutôt, comme Gustave Thibon, « que l’aventure humaine débouche sur autre chose qu’un creux désespoir, une creuse interrogation ou une creuse insouciance ».

 

 

 

 

 

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